Rapport à M. Ed Clark, président du Conseil consultatif de la première ministre pour la gestion des biens provinciaux

Rapport à M. Ed Clark, président du Conseil consultatif de la première ministre pour la gestion des biens provinciaux

OPSEU / SEFPO flag
OPSEU / SEFPO flag
Facebook
Twitter
Email

Télécharger le Rapport en pdf

Monsieur Ed Clark
Président du Conseil consultatif de la première ministre pour la gestion des biens provinciaux
Bureau du Conseil des ministres, 1075, rue Bay, bureau 830
Toronto (Ontario) M5S 2B1

Monsieur,

Le Syndicat des employés de la fonction publique de l’Ontario (SEFPO) représente plus de 130 000 Ontariennes et Ontariens qui travaillent dans presque tous les domaines des services publics de la province. Plus de 7 000 de nos membres travaillent pour la Régie des alcools de l'Ontario, une importante entreprise publique de la province qui fait l'objet d'un examen par votre Conseil consultatif. Nos membres sont fiers de travailler pour une organisation qui vend de l'alcool de manière socialement responsable et de contribuer à réduire les risques liés à cette très populaire drogue dure qui entraîne la dépendance.

La LCBO, qui a été décrite comme une « innovation majeure » par Dan Malleck, professeur à l'Université Brock, [1] a été créée après l'échec retentissant de deux initiatives spectaculaires. La première, un marché non-règlementé, avait engendré tant de problèmes sociaux et familiaux qu'un fort mouvement anti-alcoolique, le mouvement pour la tempérance, avait vu le jour d'un bout à l'autre de l'Amérique du Nord. Un mouvement dirigé par une majorité de femmes qui étaient victimes de violences conjugales et aux prises avec la misère parce que l'argent de la famille était dépensé dans les bars. [2] La seconde, la prohibition, qui était entrée en vigueur en 1916 en Ontario, avait criminalisé une activité populaire auprès d'une majorité de la population et créé bien d'autres problèmes – « une situation d'anarchie sous le couvert d'un régime juridique très restrictif ». [3] C'est la raison pour laquelle l'opinion publique n'avait toléré ce régime que pendant 11 ans.

Depuis sa création en 1927, la LCBO travaille avec l'objectif d'allier le besoin indispensable de réduire les souffrances et le désir populaire de consommer de l'alcool. Dans son rôle d'entreprise gouvernementale, la LCBO réduit les souffrances grâce à plusieurs méthodes : le contrôle du nombre de points de vente au détail de l'alcool, la règlementation des prix visant à réduire la consommation d'alcool, notamment des personnes à risques, le refus de vendre de l’alcool aux mineurs et adultes en état d’ébriété, [4] ainsi que par le biais d'autres politiques et procédures.

Le système de vente d'alcool de l'Ontario explique certainement pourquoi la consommation d'alcool par habitant en Ontario est la deuxième plus basse de l’ensemble des provinces et territoires du Canada (seuls les résidents du Nouveau-Brunswick consomment moins). [5] Bien que de nombreux facteurs aient une incidence sur les taux de conduite avec facultés affaiblies, les systèmes de vente d'alcool ont manifestement une influence. De toutes les provinces canadiennes, c'est l'Ontario qui enregistre le plus faible taux de conduite avec facultés affaiblies déclarée par la police. [6] Le personnel de la LCBO signale régulièrement à la police les conducteurs avec facultés affaiblies, ce qui se traduit par des condamnations et une amélioration de la sécurité routière. [7]

Tout en encourageant la consommation responsable, la LCBO a évolué au fil du temps afin de répondre à la demande des clients, leur offrant des points de vente au détail sans pareil. Bien sûr, la LCBO facilite – et même encourage -, jusqu'à un certain degré, la consommation d'alcool à travers ses campagnes de marketing et de promotion. On peut toujours en discuter, mais la clientèle ne soutiendrait pas la LCBO si elle réintroduisait le système restrictif de vente derrière le compteur qui existait avant l'ouverture de la première succursale libre-service en 1969. [8] Agir comme un détaillant moderne est, en réalité, essentiel pour que la LCBO puisse contrôler la consommation d'alcool et remplir son mandat de responsabilité sociale. L'« innovation majeure » de 1927 a évolué pour répondre aux besoins et aux goûts de 2014.

Les questions de la responsabilité sociale et des coûts sociaux de l'alcool sont généralement ignorés par les détracteurs de la LCBO qui demandent régulièrement la libéralisation de la vente d'alcool et/ou la vente de la LCBO à des intérêts privés. Dans des études récentes, par exemple, l'institut C.D. Howe et l'Association ontarienne des dépanneurs en alimentation ont fait valoir que le gouvernement pourrait accroître les recettes provenant de la vente d'alcool en autorisant la vente de bière et de vin dans les dépanneurs et d'autres points de vente au détail. [9] En mai dernier, le responsable du lobbying des détaillants d'alcool privés de la Colombie-Britannique était en Ontario pour tenir le même discours. [10]

Tous les partisans de la privatisation fondent leurs arguments sur la même idée; ils affirment que la concurrence par les prix et l'augmentation du nombre de points de vente d'alcool permettraient d'accroître les ventes. Ils disent que l'augmentation en flèche des recettes fiscales compenserait largement toutes les pertes de profits du gouvernement suite à la privatisation et à la libéralisation de la vente d'alcool.

Ce que les partisans de la privatisation préfèrent ignorer, cependant, est le coût social pour le gouvernement, et pour toute la société, de la hausse de la consommation d'alcool. La réalité, c'est que, d'un point de vue sociétal, l'idée de faire des « profits » en vendant de l'alcool est une illusion. Les faits sont clairs : aucune société ne peut réellement faire des profits en vendant de d'alcool. Lorsqu'il s'agit d'alcool, « les coûts directs dépassent largement les recettes de la plupart des juridictions », y compris en Ontario. [11]

Bien sûr on peut faire de l'argent en vendant de l'alcool; ils sont nombreux à avoir fait fortune. Mais les profits qu'ils ont amassés ont été faits aux dépens des coûts sociaux pour l'ensemble de la société. L'abus d'alcool est incontestablement lié à une perte de productivité au travail et à la dégradation des relations familiales. Ses effets négatifs sur la santé, de la démence et au cancer, sont connus de tous. La responsabilité de l'alcool dans les accidents mortels de la circulation fait quotidiennement la une des journaux. Et chaque citoyen paye les coûts supplémentaires en ce qui a trait à l'application de la loi pour des méfaits liés à l'abus d'alcool.

L'étude la plus complète sur les coûts de l'abus d'alcool au Canada a été publiée en 2006. Selon cette étude du Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies (CCLAT), le coût social de l'abus d'alcool en Ontario (données de 2002) est de 441 $ par habitant, ou de 560 $ (dollars courants) pour chaque homme, femme et enfant de la province. [12] Avec une population actuelle de 13,6 millions de personnes en Ontario, et en supposant (sur la base des taux de consommation moyenne) qu'il n'y a pas eu de variations importantes depuis 2002, le coût total de l'abus d'alcool en Ontario dépasserait plus de 7,6 milliards de dollars (dollars courants). Selon les calculs du CCLAT, les coûts sont les suivants : environ 49 % de ce montant, ou 3,7 milliards de dollars, en perte de productivité pour les employeurs et les employés; environ 3,3 milliards de dollars en coûts directs pour les soins de santé, les traitements de la dépendance et l'application de la loi; et 600 millions de dollars en coûts directs supplémentaires à la suite de dommages causés par des incendies, des accidents de la circulation, les indemnisations des travailleurs, les coûts de la prévention et des programmes de recherche, et ainsi de suite.

La LCBO verse un important dividende au gouvernement de l’Ontario par le biais des revenus des taxes et des permis de vente d'alcool et de la vente de la bière, du vin et de spiritueux à travers ses différents points de vente. Néanmoins, ces recettes ne compensent pas les coûts financiers associés à la consommation d'alcool. Selon une étude de 2012 du CCLAT, le coût net de la consommation d'alcool en Ontario est d'environ 650 millions de dollars par an pour le gouvernement (dollar courants). [13]

À partir de ces chiffres, on comprend que chaque cent gagné par la LCBO est utilisé pour compenser les coûts liés à la consommation d'alcool en Ontario. D'un point de vue financier, la privatisation de la LCBO aurait pour effet de réduire les recettes du gouvernement tout en augmentant les coûts pour le gouvernement. La prolifération des points de vente au détail et l'augmentation consécutive de la consommation se traduiraient par une hausse des méfaits liés à l'alcool.

Pourtant, les coûts réels de la libéralisation de la vente d'alcool dans les magasins privés ne se mesurent pas uniquement en dollars et en cents.

La Suède possède un système de vente d'alcool similaire à l'Ontario. Dans une étude récente, des chercheurs de l'Université de Stockholm ont évalué ce qui se passerait si les 8 000 supermarchés de la Suède se mettaient à vendre de l'alcool. Selon les prévisions les plus prudentes, la consommation d'alcool augmenterait de 17 % et se traduirait par 4,5 millions de dollars de jours de congés de maladie supplémentaires, 8 500 agressions de plus, 2 700 condamnations pour conduite avec facultés affaiblies et 770 décès de plus par an. [14]

En Ontario, avec une population de 50 % supérieure à celle de la Suède, la libéralisation du marché de la vente d'alcool aurait des effets encore plus dévastateurs. La LCBO doit rester à 100 % dans le domaine public, sous le contrôle du gouvernement, et garder la position prééminente qu'elle occupe dans le marché de l'alcool en Ontario.

La LBCO est particulièrement bien placée pour contribuer à l'amélioration des finances publiques tout en atténuant les effets néfastes de l'abus d'alcool. Il existe de nombreuses façons d'y parvenir, mais à l'heure actuelle, notre syndicat propose une stratégie simple qui pourrait accroître les recettes du gouvernement sans augmenter la consommation d'alcool de la population de l'Ontario.

Actuellement, la LCBO vend de l'alcool par l'entremise de 216 exploitants privés dans le cadre de son programme des magasins-agences. Établi en 1962 comme un moyen peu coûteux de desservir les collectivités rurales et isolées, le programme a été étendu à un point tel qu'il est désormais appliqué dans de nombreuses collectivités qui seraient aujourd'hui mieux servies par des succursales de la LCBO. En novembre 2010, une étude exhaustive du programme des magasins-agences a montré que le rapatriement au sein de la LCBO de 103 des magasins-agences les plus achalandés se traduirait pas une hausse du chiffre d'affaires brut des succursales de la LCBO de 570 millions de dollars sur dix ans, avec un investissement unique de seulement 370 000 $ par succursale, ou de 38 millions de dollars au total.

Mettre en œuvre cette stratégie serait la bonne solution pour la responsabilité sociale et pour les recettes du gouvernement. Dans le cadre de votre examen, veuillez recommander à la LCBO de réduire sérieusement la portée du programme des magasins-agences afin de lui redonner le mandat initial et limité pour lequel il a été créé.

Pour votre information et celle des membres du Conseil consultatif, veuillez trouverhttp://sefpo.org/modules/file/icons/application-pdf.pngci-joint le rapport du consultant rédigé au nom du SEFPO en 2010. Pour toute question, n'hésitez surtout pas à communiquer avec nous.

Je vous prie d'agréer, Monsieur, l'expression de mes sentiments les meilleurs.

Warren (Smokey) Thomas
Président, Syndicat des employés de la fonction publique de l'Ontario

Denise Davis, présidente
Division des employés de la Régie des alcools du SEFPO

Références


[1] MALLECK, Dan. 2012. Try to Control Yourself : The Regulation of Public Drinking in Post-Prohibition Ontario, 1927-1944. Vancouver : UBC Press. p. 5.
[2] CAMPBELL, Robert A. 1991. Demon Rum or Easy Money : Government Control of Liquor in British Columbia from Prohibition to Privatization, Ottawa : Carleton University Press. p. 15.
[3] MALLECK, Dan. p. 11.
[4] RÉGIE DES ALCOOLS DE L'ONTARIO. « En 2013-2014, le personnel de la LCBO a contesté le droit d’acheter de l’alcool de plus de 11,4 millions de personnes qui n’ont pas présenté une preuve d’identité valide, semblaient en état d’ébriété ou tentaient d’acheter de l’alcool pour une personne mineure ou en état d’ébriété. Ils ont refusé de vendre de l’alcool à 414 600 personnes, dans 86,9 % des cas en raison de l’âge. », Régie des alcools de l'Ontario http://www.lcbo.com/content/lcbo/en/responsibility/responsibility/challenge-and-refusal.html#.VBma4Gd0xMw
[5] STATISTIQUE CANADA, tableau CANSIM 183-0019.
[6] PERREAULT, S. 2012. La conduite avec facultés affaiblies au Canada, 2011. Juristat, Statistique Canada, catalogue no 85-002-X Ottawa : Centre canadien de la statistique juridique, Statistique Canada.
[7] Pour les relations entre le personnel de LCBO et la police permettant de lutter contre la conduite avec facultées affaiblies, voir par exemple Forrest, Ben (2014). « St. Thomas store named one of best at reporting suspected drunk drivers », St. Thomas Times-Journal, 4 juillet. Édition Web :  http://www.stthomastimesjournal.com/2014/07/04/st-thomas-store-named-one….
[8] MALLECK, Dan. Durant les premières décennies, la LCBO « forced people who wanted a drink to run a series of bureaucratic gauntlets before they could indulge and relax. In the liquor stores, the customer had to buy a permit book, fill in a form listing a substance he or she wanted to buy, and be evaluated by the liquor store employee », p. 9.
[9] MASSON, Paul R. et Sen ANINDA. 2014, Uncorking a Strange Brew : The Need for More Competition in Ontario’s Alcoholic Beverage Retailing System, Toronto :  INSTITUT C.D. HOWE. Commentaire nº 414, août.  Sen ANINDA. 2014, An Economic Analysis of Increasing Competition in Retail Liquor Sales in Ontario. Oakville, Ontario,  Association ontarienne des dépanneurs en alimentation.
[10] BAILLIE, Ian. 2014. « BYOBC : Strategies from BC on How Ontario Can Better Retail Beverage Alcohol », Discours à l'Economic Club du Canada, Toronto, 9 mai.
[11] THOMAS, Gerald. 2012. Analyse des ventes de boissons alcoolisées au Canada, Ottawa : Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies. p. 2.
[12] REHM, J. et Al. 2006. Les coûts de l'abus de substances au Canada 2002, Ottawa : Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies. p. 107.
[13] THOMAS, Gerald. 2012. Politiques de fixation des prix pour réduire les méfaits liés à l’alcool au Canada, Ottawa : Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies. p. 29.
[14] NORSTRÔM, Thor, Ted MILLER, Harold HOLDER, Esa ÖSTEBERG, Mats RAMSTEDT, Ingeborg ROSSOW et Tim STOCKELL (2010). Potential consequences of replacing a retail alcohol monopoly with a private licence system: results from Sweden. Addiction, vol. 105, nº 12, décembre, p. 2113–2119.