Commentaire : « sans préjudice » : un avertissement de deux mots oubliés

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La travailleuse ou le travailleur qui dépose un grief a des choix au cours du processus quant à la façon dont le grief est résolu.  La plaignante ou le plaignant peut accepter de régler la question au moyen d’une entente de règlement négociée; ou peut choisir de procéder à une audience d’arbitrage où un arbitre rendra une décision juridique définitive et exécutoire sur le grief; ou bien peut retirer le grief à tout moment du processus.

Si la travailleuse ou le travailleur choisit de retirer le grief, il est important de tenir compte des pratiques exemplaires.

Que signifie retirer votre grief?

La décision prise par une travailleuse ou un travailleur de retirer un grief signifie que le grief arrive à son terme. Cette retraite ne signifie pas nécessairement que la plaignante ou le plaignant ou le syndicat accepte ce que l’employeur a fait ou son interprétation de la question. Les travailleuses et travailleurs peuvent choisir de retirer un grief pour un certain nombre de raisons : ils ont changé de lieu de travail; la question s’est résolue d’elle-même; ou poursuivre leur grief ne les intéresse plus.

Existe-t-il une façon appropriée de retirer un grief?

Oui, la meilleure façon de retirer un grief est par écrit : vous pouvez remplir un formulaire de retrait de grief ou simplement indiquer votre souhait de retirer un grief dans un courriel adressé à votre représentante ou représentant. Selon le degré de progression du grief, il peut s’agir de la déléguée ou du délégué syndical, de la présidence de section locale ou de l’agente ou de l’agent des griefs. Si vous ne nous le faites savoir que par un appel téléphonique, nous conserverons des notes minutieuses de l’appel, et nous vous enverrons un courriel de confirmation. Cependant, il est plus évident pour tout le monde si nous avons toutes et tous une version écrite de la demande. La représentante ou le représentant syndical approprié peut retirer un grief de principe (également appelé « grief syndical »).

L’avis du retrait qu’envoie le syndicat à l’employeur devrait inclure la mention que le grief est retiré « sans préjudice » de toute autre question entre les parties. En demandant qu’un grief soit retiré « sans préjudice », le syndicat indique que l’action de retrait ne doit pas avoir d’incidence négative sur les droits juridiques ou les positions du syndicat à l’avenir. Le retrait d’un grief peut constituer un obstacle à l’arbitrage d’un deuxième grief qui porte sur la même question si un arbitre détermine que le grief a été retiré « avec préjudice » – c’est-à-dire d’une manière qui pourrait impliquer une intention d’avoir une incidence négative sur les droits légaux de la partie. Évidemment, on ne peut retirer un grief puis revenir déposer l’exacte grief à nouveau.  Un arbitre pourrait même, selon les circonstances, considérer un retrait comme étant le fait que la plaignante ou le plaignant et le syndicat sont d’accord avec l’interprétation de l’employeur sur la question. Le meilleur moyen d’éviter cette situation est de retirer un grief « sans préjudice » suivi de l’acceptation par l’employeur.

Quelles sont les conséquences de ne pas inclure « sans préjudice » ?

La question clé qui a été tranchée dans l’affaire Fonction publique de l’Ontario (Valade et al.) c. Ontario (Régie des alcools de l’Ontario), 2022 CanLII 124195 (ON GSB), c’est de savoir si le retrait du grief de principe en litige fut considéré comme un retrait fondé sur un préjudice, de sorte que le syndicat ne pouvait poursuivre des griefs individuels sur le même sujet.

Suivant le raisonnement de l’arbitre Burkett dans Décision sur St-Gobain Abrasives (précitée), il n’existe pas de règle générale voulant que le simple retrait d’un grief empêche automatiquement le dépôt d’un grief secondaire sur la même question. Un retrait n’indique pas toujours une concession à l’interprétation de l’autre partie; les griefs peuvent être retirés pour plusieurs raisons. Toutefois, il existe certains critères dont un arbitre peut tenir compte en décidant si un grief a été retiré « avec préjudice » :

  1. Le grief fut-il retiré à une étape ultérieure de la procédure de règlement des griefs?
  2. Le retrait fut-il fait par écrit et signé par un responsable syndical?
  3. Le retrait n’a-t-il pas été fait sans préjudice?

Dans Valade et al., le grief de principe fut retiré après un jour de médiation, peu de temps après la présentation par l’employeur de sa preuve et son historique de négociation. Un représentant syndical responsable a retiré le grief par écrit sans utiliser l’expression « sans préjudice » et sans indiquer que le retrait était autre chose qu’une concession de la question.  En se fondant sur ces facteurs, l’arbitre a déclaré que « le retrait était, en fait, une acceptation du syndicat de l’interprétation et de l’application des dispositions contractuelles par l’employeur. Par conséquent, ce retrait constitue un obstacle aux griefs individuels dont [il] est saisi. »

La requête de l’employeur a été accueillie, et les trois griefs individuels connexes ont été rejetés.

Réflexions finales

Cette décision sert de rappel important de toujours inclure la formulation « sans préjudice » en communiquant à l’employeur que nous retirons un grief – qu’il s’agisse d’un grief de principe, d’un grief collectif ou d’un grief individuel. Ne pas inclure « sans préjudice » pourrait avoir des conséquences négatives pour les griefs connexes ou futurs. Les décisions et les communications concernant les griefs doivent toujours être délibérées et claires.

La décision complète peut être consultée ici : https://canlii.ca/t/jtrcg (en anglais seulement).

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