Introduction
Un point tournant dans la réforme de la protection de l'enfance
Suite à la publication du rapport de la vérificatrice générale, en décembre 2015, la première ministre de l’Ontario, Kathleen Wynne, a demandé à la ministre des Services à l’enfance et à la jeunesse (MSEJ), Tracy MacCharles, de poursuivre la réforme du système de protection de l'enfance. La vérificatrice générale, Bonnie Lysyk, avait mis en évidence certains problèmes systémiques en ce qui concernait les normes de protection de l'enfance, un manque de supervision adéquat du ministère et des problèmes liés à la mise en œuvre du Réseau d'information pour la protection de l'enfance (RIPE). Faisant suite au rapport de la VG, la première ministre a demandé une réforme des sociétés d'aide à l'enfance (SAE). Elle a déclaré que le changement se ferait, même s’il fallait « faire exploser le système ».[1] On a demandé à la ministre de continuer de centraliser la coordination des services de protection de l’enfance. Elle n’a pas annoncé comment elle procéderait.
Les SAE sont en restructuration depuis des dizaines d’années. Le groupe d'experts le plus récemment mandaté par le gouvernement, la Commission de promotion de la viabilité des services de bien-être de l’enfance, a publié ses recommandations au gouvernement en 2012.[2] Le SEFPO, ainsi que d’autres syndicats, a fait des présentations à la Commission pour mettre en lumière les obstacles systémiques auxquels font face les travailleurs pour respecter les normes établies par le ministère. Et pourtant, aucune des recommandations de la Commission n’aborde les préoccupations du personnel de première ligne.
Au cours des quatre dernières années, l’association d’employeurs, l’Association ontarienne des sociétés d'aide à l'enfance (AOSAE), a pris des mesures pour mettre en œuvre les principales recommandations de la Commission. La fusion de 16 sociétés d'aide à l'enfance, faite après sept regroupements, ainsi que la mise en œuvre d’une nouvelle formule de financement et d’ententes de responsabilisation entre les conseils d’administration des SAE et le MSEJ, ont donné lieu à plusieurs mises à pied et à une certaine incertitude parmi de nombreux intervenants en protection de l'enfance.
Le ministère doit financer une augmentation du nombre de postes de première ligne afin que l’on puisse fournir des services qui tiennent compte en priorité de l’enfant. La restructuration organisationnelle ne fera rien pour la prestation directe des services dans les conditions actuelles.
La publication du rapport de la vérificatrice générale a été suivie d’une série d’événements clés qui ont propulsé les services de protection de l'enfance et le MSEJ sous l'œil critique du public en 2015.
- Le coroner a lancé une enquête sur le décès de Katelynn Sampson, après qu’elle ait été assassinée par ses tuteurs.[3]
- À partir du 1er mars 2016, le Bureau de l'intervenant provincial en faveur des enfants et des jeunes a de nouveaux pouvoirs d'investigation sur les SAE, qui lui permettentd’enquêter sur les plaintes individuelles et systémiques.[4]
- L’examen de Madame la juge Susan Lang relativement aux échecs du programme Motherisk de l’Hôpital pour enfants malades a fait état d’un manque de surveillance et d’une perte non justifiée de la garde de certains enfants entrés dans le système.[5]
- Le Commissaire ontarien des droits de la personne a demandé aux SAE de commencer à faire le suivi des ethnies, faisant valoir la surreprésentation des enfants noirs dans le système.[6]
- En 2016, le Tribunal canadien des droits de la personne a jugé que le Canada discriminait contre les enfants des Premières Nations en sous-finançant les organismes dans les réserves chargés d’assurer leur sécurité.[7]
La position du SEFPO sur la réforme de la protection de l'enfance
- Financer les besoins. En 2014-2015, Le MSEJ a effectué des paiements de transfert dans les 47 SAE totalisant 1,47 milliard de dollars. La nouvelle formule de financement ne tient pas compte du temps réel dont ont besoin les travailleurs pour respecter les normes du ministère. Nous avons besoin d’un plus grand nombre de travailleurs dans le système.
- Réduire le fardeau administratif. Les couches d'exigences administratives et de surveillance ont dramatiquement augmenté au cours des dix dernières années de la restructuration. Les formalités administratives doivent diminuer.
- Mettre en œuvre une base de données centrale pleinement fonctionnelle. La période pilote de mise en œuvre du Réseau d'information pour la protection de l'enfance (RIPE) était bourrée de problèmes. Le ministère doit résoudre les problèmes non résolus et consulter les intervenants en protection de l'enfance avant de poursuivre la mise en œuvre. Le ministère a sous-estimé le coût de la mise en œuvre et dépensé 50 millions de dollars en plus des 150 millions de dollars qui avaient été prévus pour la mise en œuvre du RIPE dans 14 SAE. Le ministère n’a pas adéquatement financé les organismes pour couvrir le temps additionnel consacré par les travailleurs pour entrer les données malgré les importants dépassements de coûts. Les coûts du contrat de migration des données pour 14 SAE sont montés en flèche, passant de 3 millions de dollars à un coût total de 9,5 millions de dollars.[8]
- Établir des critères de charge de travail. Le nombre moyen de dossiers de protection familiale est différent dans chaque organisme. La vérificatrice générale a indiqué que le nombre de cas allait de huit à un maximum de 32 par mois. Le MSEJ doit développer des critères de charge de travail standard pour les services de protection de l'enfance, afin de faire en sorte que la charge de travail soit raisonnable.[9]
- Investir dans l'infrastructure sociale, investir dans les enfants. Si nous nous considérons vraiment comme une société compatissante, alors le succès de tous les enfants devrait être soutenu par des dépenses considérablement plus élevées en ce qui concerne les solutions structurelles, telles que des programmes universels publics de garde d’enfants, un salaire décent, des logements de qualité subventionnés et l’accès à des services de loisirs. Tant que les décideurs et les citoyens ne sont pas prêts à envisager des solutions structurelles radicales qui tiennent compte de la marginalisation et de la pauvreté, certains enfants courront toujours plus de risques de se retrouver dans le système de protection de l'enfance.
- Établir une table de négociation centrale pour le secteur de la protection de l’enfance. Le gouvernement a reconnu le besoin de mieux coordonner les services à travers le secteur. Ce niveau de coordination devrait être reflété dans l’établissement des normes du milieu de travail au moyen d’un processus de négociation centrale afin d’assurer que tous les travailleurs bénéficient de conditions de travail équitables et égales.
Rapport de la vérificatrice générale : préoccupations principales
Le rapport 2015 de la vérificatrice générale identifiait un écart critique entre l’exigence du MSEJ que les normes de protection de l’enfance soient respectées et l’aptitude des travailleurs à respecter ces normes avec leur charge de travail courante. Le rapport mentionne que les normes ne sont pas suivies uniformément dans le système des SAE évaluées. Les conclusions confirment que la charge de travail est un problème général dans le système; pourtant, les organismes continuent de mettre l’accent sur la gestion individuelle du temps. Le rapport recommande également de poursuivre la fusion des services. Les économies réalisées en fusionnant les services ne peuvent répondre au besoin de financement d’autres services directs aux clients. Toute fusion doit protéger le rôle vital du personnel administratif qui consiste à fournir du soutien au personnel de première ligne. Les conclusions principales incluent :
- Il est possible que les sociétés ferment les dossiers de protection de l'enfant trop tôt. Dans plus de la moitié des dossiers examinés et réouverts plus tard, les circonstances et facteurs de risque ayant donné lieu à la réouverture du dossier étaient présents à la fermeture initiale du dossier. En moyenne, la réouverture du dossier s'est faite dans les 68 jours.
- Les sociétés ne terminaient pas les enquêtes de protection de l'enfance à temps et ne prenaient pas toujours toutes les mesures d’enquête nécessaires. Dans plus d’un tiers des enquêtes, les évaluations de la sécurité n’étaient soit pas conduites du tout ou pas conduites à temps. Aucune des enquêtes de protection de l’enfance n'a été terminée dans les trente jours prescrits à partir de la réception par la société du rapport concernant des préoccupations en matière de protection de l’enfance. En moyenne, les enquêtes se terminaient plus de sept mois après la réception du rapport en question.
- Les sociétés ne conduisaient pas toujours de manière opportune leurs visites à domicile et l’évaluation des plans de services dans les cas impliquant des enfants encore pris en charge par leur famille. Dans plus de la moitié des dossiers, les chargés de cas de la société n’étaient capables de rendre visite aux enfants et à leur famille qu’une fois tous les trois mois au lieu de la visite mensuelle prescrite par les normes. Dans plus de la moitié des cas évalués, on ne conduisait pas les évaluations du plan de services tous les six mois, tel qu’établi.
- Les sociétés ne dressaient et n’évaluaient pas toujours les plans de soins dans les cas impliquant des enfants confiés aux soins d’une société d’aide à l’enfance. Dans environ un tiers des cas, les plans conçus pour aborder, entre autres, la santé, l’éducation, le développement émotif et comportemental et les habiletés de soins personnels d’un enfant n’étaient pas dressés ou évalués à temps.
- Les sociétés ne conduisaient pas toujours une vérification de l’historique de protection de l’enfance pour les personnes impliquées dans la vie des enfants. Dans certains cas, les sociétés ne vérifiaient même pas leurs propres dossiers et la base de données de la province de tous les dossiers des sociétés pour évaluer l’historique des personnes impliquées avec les enfants. Aussi, dans plus de la moitié des dossiers évalués dans lesquels des allégations d’abus avaient été faites, les sociétés n’avaient pas consulté le registre des cas de sévices à enfants de la province pour établir si des abus avaient été enregistrés en ce qui concernait l’enfant, la famille ou l'auteur potentiel de ces abus.
- Le Programme de soins et de soutien continus pour les jeunes (PSSCJ) ne réalise pas pleinement son objectif de préparer les jeunes à réintégrer la société. En 2013, le ministère éliminait l’exigence pour les jeunes de faire en sorte de réaliser les objectifs établis pour continuer de recevoir le soutien financier et non financier du PSSCJ. Dans une certaine mesure, cette exigence limitait l’aptitude des sociétés à convaincre les jeunes de travailler à l’atteinte de ces buts.
- Des occasions existent de faire en sorte que le financement soit utilisé à meilleur escient pour fournir des services directs aux enfants et à leur famille. Par exemple, des économies de coûts seraient possibles grâce aux fusions des sociétés voisines afin de réaliser des économies d’échelle et grâce à la centralisation de certaines fonctions administratives actuellement exécutées séparément par les sociétés.[10]
Protection de l'enfance – une responsabilité communautaire
La vérificatrice générale n'a pas tenu compte des problèmes structurels sous-jacents auxquels sont confrontées les familles qui entrent en contact avec le système de protection de l’enfance. Les familles qui ont des difficultés écrasantes liées à la pauvreté, à la violence, aux dépendances et à des troubles mentaux sont surreprésentées dans le système des SAE. Ces enfants sont la responsabilité du système des services sociaux. La négligence sociétale des enfants est largement influencée par le chômage, les logements insalubres, le manque de services de garde d’enfants universels, le manque d’accès à des aliments nutritifs et le manque d’accès à des services de loisirs. Tant que les décideurs et les citoyens ne sont pas prêts à envisager des solutions structurelles radicales qui tiennent compte de la marginalisation et de la pauvreté, certains enfants seront toujours plus à risque de se retrouver dans le système de protection de l'enfance.
Le SEFPO demande à la ministre de mettre sur pied un groupe de travail communautaire
Suite à l’appel de la première ministre pour la réforme de la protection de l'enfance, le Conseil exécutif du SEFPO a adopté la résolution suivante, qui sera débattue à l’occasion du Congrès annuel du SEFPO, qui aura lieu en avril 2016.
Attendu que le rapport 2015 de la vérificatrice générale identifiait de graves problèmes dans les organismes de protection de l'enfance en Ontario, y compris un manque de surveillance, le non-respect des normes de protection établies par le ministère en ce qui concerne les enquêtes, l'absence de normes ministérielles en ce qui concerne la charge de travail et le financement inadéquat de la mise en œuvre du Réseau d'information pour la protection de l'enfance (RIPE) provincial; et
Attendu que la première ministre a demandé à la ministre des Services de protection à l’enfance et à la jeunesse, Tracy MacCharles, de trouver des solutions pour centraliser et améliorer la coordination et la surveillance des services de protection de l’enfance; et
Attendu que les enfants racialisés, les enfants autochtones, les enfants de parents célibataires ou les enfants de nouveaux arrivants, et les enfants qui vivent avec des invalidités risquent davantage d’avoir des besoins liés à la pauvreté, parce que les personnes qui en prennent soin luttent avec des revenus bas, des problèmes de santé mentale ou de toxicomanie, et/ou un logement inadéquat, et sont surreprésentés dans le système de protection de l’enfance; et
Attendu que ce que la société considère comme de la négligence – une forme de mauvais traitements à l’égard des enfants – est souvent lié à la pauvreté et au chômage, à un logement insalubre, au manque de services de garderie universels, à un manque d’accès à des aliments nutritifs et à un manque d’accès à des services de loisirs; et
Attendu que la ministre des Services de protection à l’enfance et à la jeunesse a mis en œuvre des politiques de restructuration dans le secteur du bien-être des enfants depuis plus de dix ans et n’a jamais consulté les divers intéressés au sein de la communauté, qui travaillent aussi avec les enfants et les familles dans le système des SAE;
Il est donc résolu que le SEFPO demande à la ministre de mettre sur pied un groupe de travail communautaire qui recommanderait les réformes nécessaires au renouvellement du système de protection de l'enfance en Ontario; et
Il est aussi résolu que ce groupe de travail inclue des intervenants en protection de l'enfance du SEFPO de première ligne, des enseignants, des conseillers des Premières Nations, des organismes de lutte contre la pauvreté, des groupes de défense des victimes de violence domestique et des conseillers en matière de santé publique et de logement; et
Il est aussi résolu que le groupe de travail soumette des recommandations à la ministre allant au-delà de la restructuration bureaucratique des fonctions de l’agence, qui aborderont plutôt les problèmes qui font que les enfants de couleur, les enfants des Premières Nations et les enfants pauvres entrent en nombre disproportionné en contact avec le système de protection de l'enfance.
Notes
[1] Cohn R. Martin (22 décembre 2015). Premier ponders blowing up our CAS mess: Cohn. Le Toronto Star.
[2] Commission de promotion de la viabilité des services de bien-être de l’enfance (2012). Rapport final, Realizing a Sustainable Child Welfare System in Ontario. À l’adresse http://cwrp.ca/sites/default/files/publications/en/CPSCW-Realizing-a-Sus…
[3] Dossiers de la Presse canadienne (29 février 2015). Katelynn Sampson inquest hears final arguments today. CBC News, À l’adresse http://www.cbc.ca/news/canada/toronto/katelynn-sampson-inquest-last-day-….
[4] Ministère des Services gouvernementaux et des Services aux consommateurs (2014). L'Ontario renforce l'imputabilité politique et accroît la surveillance (Communiqué de presse). À l’adresse https://news.ontario.ca/mgs/fr/2014/03/lontario-renforce-limputabilite-politique-et-accroit-la-surveillance.html.
[5] L’Honorable Lang, E. Susan (2015). Rapport de l’examen indépendant du programme d’analyse capillaire de Motherisk. Ministère du Procureur général de l’Ontario. À l’adresse https://www.attorneygeneral.jus.gov.on.ca/french/about/pubs/lang/.
[6] Contenta, S. Monsebraaten, L. et Rankin, J. (11 janvier 2016). Ontario human rights chief calls for race-based stats for kids in care. Le Toronto Star. À l’adresse http://www.thestar.com/news/insight/2016/01/11/ontario-human-rights-chie….
[7] La Presse canadienne (26 janvier 2016). Ottawa discriminated against kids on reserves, human rights panel says. Le Toronto Star. À l’adresse http://www.thestar.com/news/canada/2016/01/26/ottawa-discriminated-again….
[8] Bureau de la vérificatrice générale de l’Ontario (2015). Rapport annuel, Section 3.02, Services de protection de l'enfance – Sociétés d’aide à l’enfance.
[9] Bureau de la vérificatrice générale de l’Ontario (2015). Rapport annuel, Section 3.02, Services de protection de l'enfance – Sociétés d’aide à l’enfance. À l’adresse http://www.auditor.on.ca/fr/rapports_fr/fr15/2015AR_fr_final.pdf.
[10] Bureau de la vérificatrice générale de l’Ontario (2015). Rapport annuel, Section 3.02, Services de protection de l'enfance – Sociétés d’aide à l’enfance.