Commentaire sur une question : que faire d'un grief tardif?

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Avez-vous déposé un grief en retard? L’arbitre a le pouvoir de prolonger les délais.

La plupart, sinon toutes, des conventions collectives prévoient un délai dans lequel un membre du personnel est autorisé à déposer un grief. Certaines conventions collectives prévoient un échéancier généreux, comme 30 jours dans la fonction publique de l’Ontario (FPO). D’autres prévoient aussi peu que sept jours, comme dans quelques sections locales du secteur parapublic. Quel que soit le délai prévu, le dépôt d’un grief dans les délais impartis évitera une requête préliminaire de l’employeur visant à faire rejeter l’affaire dès le début – avant la tenue d’une audience complète – sur la base d’un non-respect des délais.

Les employeurs adorent déposer ce genre de requête pour éviter le vrai problème – et éviter de dépenser de l’argent et des ressources pour plaider l’affaire.  En déposant une requête préliminaire sur le non-respect des délais, ils tentent de faire rejeter la requête en une seule journée d’audience.

Si un employeur présente une motion selon laquelle un grief a été déposé après la date limite, le syndicat peut riposter en soutenant qu’il existe des motifs raisonnables de proroger les délais. Dans la plupart des cas, les arbitres ont le pouvoir de proroger les délais de dépôt d’un grief en vertu du paragraphe 48 (16) de la Loi sur les relations de travail, qui prévoit ce qui suit :

« Sauf lorsqu’une convention collective prévoit que le présent paragraphe ne s’applique pas, un arbitre ou un conseil d’arbitrage peut proroger le délai accordé par la procédure de grief prévue dans une convention collective pour prendre une mesure, même si le délai est écoulé, s’il est convaincu qu’il existe des motifs raisonnables qui justifient la prorogation et que la partie adverse ne subit pas de préjudice important de ce fait. »

Il est important de noter que lorsqu’une convention collective stipule que le paragraphe 48 (16) ne s’applique pas, l’arbitre ne dispose pas de ce pouvoir discrétionnaire. Il est également important de noter que le pouvoir discrétionnaire ne s’applique que lorsque le grief est déposé tardivement au tout début. Il ne s’applique pas aux délais de renvoi du grief à l’arbitrage, soit la dernière étape de la procédure de règlement des griefs. Les arbitres n’ont pas le pouvoir légal de prolonger le délai pour les renvois tardifs.  La convention collective de la FPO comporte une exception particulière et rare à cette règle : elle dit explicitement que l’arbitre peut pardonner le renvoi tardif du grief.  Dans presque tous les autres cas, et à moins que la convention collective ne dispose d’un libellé explicite semblable, un renvoi tardif est fatal pour un grief, peu importe le fond.

Quels sont ces motifs raisonnables? Dans la jurisprudence, les arbitres ont identifié quelques facteurs dont ils pourraient tenir compte pour déterminer s’il existe des motifs raisonnables d’exercer leur pouvoir discrétionnaire. Dans l’affaire La compagnie Becker Milk et le syndicat des Teamsters, section locale 647 (1978), 19 L.A.C. (2e) 217 (Burkett), l’arbitre Burkett a relevé trois facteurs :

  1. la raison du retard donnée par la partie fautive
  2. la durée du délai
  3. la nature du grief

S’appuyant sur la décision rendue dans l’affaire Becker Milk, l’arbitre Schiff a énoncé six facteurs interdépendants pour évaluer la prolongation des délais dans sa décision Greater Niagara General Hospital et l’AIIO (1981), 1 L.A.C. (3e) 1 (Schiff). Sa décision est devenue le principal cas d’évaluation des demandes en matière de respect des délais en Ontario :

  1. la nature du grief
  2. si le retard s’est produit au moment du dépôt du grief ou à une étape ultérieure
  3. la question de savoir si la plaignante ou le plaignant était responsable du retard
  4. les raisons du retard
  5. la durée du délai
  6. si l’employeur aurait pu raisonnablement présumer que le grief avait été abandonné

L’arbitre Lynk a également examiné le droit en ce qui concerne ces facteurs dans sa décision Syndicat des employés de la fonction publique de l’Ontario (Robbins) et la Régie des alcools de l’Ontario (2015) CanLII 36165. Il a conclu que plus la question du grief était importante – comme le licenciement, par exemple, ou une mesure disciplinaire grave – plus le poids accordé à la prorogation était important. Une plus grande faveur est accordée à la prolongation si la responsabilité du retard n’était pas imputable à la plaignante ou au plaignant (par exemple, si des erreurs administratives ont été commises par le syndicat). Il a également conclu que plus le délai est long, plus il incombe au syndicat ou à la plaignante ou au plaignant de fournir une explication crédible. Une conclusion de mauvaise foi dans la présentation du grief milite contre la prorogation des délais.

Un cas récent de l’OPSEU/SEFPO illustre la façon dont ces facteurs peuvent être appliqués : Syndicat des employés de la fonction publique de l’Ontario (Stanley) et le ministère des Richesses naturelles et des Forêts (2024) CanLII 16536. L’arbitre Beatty a tranché en faveur du syndicat et prorogé les délais après avoir analysé les facteurs pertinents. Le plaignant a été employé comme pilote et placé en congé sans solde parce qu’il avait refusé de divulguer son statut vaccinal en lien avec la COVID-19. L’employeur a reçu le grief huit jours après la date limite fixée dans la convention collective de la FPO. Premièrement, l’arbitre a conclu que le retard était relativement court, ce qui réduit tout préjudice pour l’employeur en ce qui concerne la mémoire, par exemple. Deuxièmement, le plaignant n’était pas responsable du retard : ce fut la section locale qui en était. Troisièmement, la nature du grief était grave, puisqu’un congé non payé s’apparentait à une longue suspension sans date de retour précise. Et quatrièmement, l’employeur n’a pas allégué qu’il avait subi de préjudice quant à sa capacité de répondre et de se défendre relativement au grief en raison du retard.

Il est impératif que les syndicats fassent preuve de diligence en déposant leurs plaintes à temps et ne donnent jamais à l’employeur un moyen de rejeter le grief avant la résolution du problème du membre du personnel. Toutefois, si un grief est déposé tardivement, le syndicat peut être en mesure de rejeter la requête de l’employeur en matière de délai en demandant à l’arbitre de proroger les délais et d’alléger le délai en se fondant sur les motifs raisonnables énoncés dans la jurisprudence.

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