Un rêve qui s'éteint

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J'aime beaucoup les États-Unis, même si bien des choses dans ce pays ne cadrent pas avec mes valeurs personnelles. L'une d'entre elles a surgi lorsque la ville de Detroit décida de déclarer faillite. Mais ce sont surtout les accusations qui suivirent qui m'ont atterré.

Il serait facile d'ignorer la faillite de Detroit. En effet, nos villes ne peuvent pas faire faillite vu qu'elles ne peuvent pas, légalement, contracter des dettes. Nos fonds de pension sont bien réglementés et financés. Nous n'avons encore aucune loi sur le droit au travail (pour moins), même si les conservateurs d'Hudak ont inséré ce concept dans leur programme électoral. Mais cette fois-ci, l'ignorance n'est pas une bénédiction! Nos villes sont de plus en plus divisées, tandis que certaines parties, comme les quartiers bas de Hamilton ou le quartier est du centre-ville de Vancouver, par exemple, se dégradent et que les banlieues adjacentes, plus riches, s'épanouissent. Les attaques contre les syndicats sont également chose courante. Il est temps de tirer des leçons de ce qui se passe aux États-Unis.

J'ai récemment lu des articles de Robert Reich, ancien secrétaire du Travail sous l'administration Clinton. Je suis d'accord lorsqu'il dit, dans ses blogues, que les écarts, non comblés par les gouvernements ou la cohésion communautaire, ont pour effet de diviser les gens et de mettre à l'écart les moins avantagés.

Ainsi, comment devrions-nous voir Detroit? Parle-t-on ici simplement d'échec des négociations entre de puissants groupes en ce qui concerne la responsabilité des coûts du déclin? Ces coûts devraient-ils être partagés entre les contribuables de la ville, les créanciers, les travailleurs et les retraités municipaux? Devrions-nous blâmer les syndicats et les conventions collectives avec leurs pensions et leurs prestations de santé « inabordables »? Nous savons bien comment les médias de droite répondraient à ces questions. Examinons toutefois les choses plus en détail.

Il fut un temps où les Américains croyaient à l'égalité, à la croissance et à la prospérité. Les employeurs avaient un sens de responsabilité sociale, tandis que les syndicats, fruits d'un travail acharné, estimaient qu'une action collective contribuerait à enrichir la communauté. C'était le Detroit d'antan.

Aujourd'hui, Detroit est entouré de villes comme Birmingham, West Bloomfield, Waterford et Sterling Heights. Sa population a passé de 1,8 million d'habitants (en 1950) à 710 000 de nos jours. Sans programmes sociaux, fiscalité équitable, partage de l'endettement et cohésion des communautés, le Michigan se voit divisé entre les « nantis » et les « démunis ».

Detroit a perdu un quart de sa population avec l'exode vers les banlieues de la classe moyenne. Cet exode a entraîné une baisse des valeurs immobilières, laissé des quartiers entiers abandonnés, vidé des édifices, dégradé des écoles et réduit l'assiette fiscale. Plus de la moitié des parcs sont fermés, tandis que 40 pour cent des lampadaires ne fonctionnent plus.

  Detroit Michigan
Ceux sous le seuil de la pauvreté 36 % 15,7 %
Revenu annuel médian des ménages 27 900 $ 48 700 $
Population noire ou afro-américaine 82,7 % 14,2 %
Propriétaires 50 % 73 %

La faillite a élargi le fossé encore davantage. Plutôt que de mettre en place des structures telles que des gouvernements solides, des impôts progressifs, l'organisation sociale et les syndicats, c'est le contraire qui se produit, tandis que se poursuit la guerre entre les riches et les autres. De l'accord de libre-échange aux budgets d'austérité et lois visant à empêcher les gens de se regrouper, la lutte ne cesse plus.

Les Américains se divisent eux-mêmes par revenu. Il fut un temps où la majorité des villes américaines (y compris Detroit) étaient composées de gens riches, de gens de la classe moyenne et de gens pauvres. Aujourd'hui, chaque groupe vit séparément dans sa propre ville, avec sa propre assiette fiscale. Les riches ont de bonnes écoles et des parcs, une force de police solide, de bons transports en commun et d'autres services de premier ordre. Les pauvres sont laissés pour compte, avec des écoles et des parcs horribles, une forte criminalité et des services de quatrième ordre. Detroit, la pauvre, enclave en grande partie noire et abandonnée, doit se débrouiller seule au milieu d'un océan de richesses. Ses banlieues sont parmi les plus riches du pays.

Le comté d'Oakland est le quatrième comté le plus riche des États-Unis. Le grand Detroit, banlieues incluses, est un des plus grands centres financiers au pays. Tandis que nous savons qu’à Detroit, le revenu médian des ménages est de 27 900 $, il était de plus de 94 000 $ à Birmingham (à côté de Detroit) l'an dernier. Et à Bloomfield (aussi dans la région métropolitaine de Detroit), il était de 150 000 $.

La faillite de Detroit est due au manque de volonté des quartiers riches de soutenir avec l'argent de leurs impôts les quartiers pauvres du centre-ville. Pas de soutien, pas de relance. En installant une frontière autour des quartiers pauvres du centre-ville et en exigeant de leurs résidents qu'ils se débrouillent avec leurs problèmes, les banlieues riches se font la partie belle. « Leur » ville n'a aucun problème. C'est l'autre qui en a : c'est Detroit! Voici comment, à une époque d'inégalité croissante, les riches Américains se débarrassent des pauvres.

C'est ainsi que les choses se passent depuis un certain temps. Le Michigan était dirigé par le gouverneur George Romney pendant les émeutes raciales des années 1960, à Detroit. Les émeutes étaient le fruit de tensions raciales de longue date. La guerre urbaine issue de son recours à la Garde nationale a accéléré la disparition de la classe moyenne blanche dans cette ville. Le président Ronald Reagan a plus tard réduit les dépenses publiques, l'impôt sur le revenu fédéral, l'impôt sur les gains en capital (ou plus-values) et la réglementation et augmenté le contrôle de la masse monétaire. C'était l'économie à la Reagan, qui visait à assurer la prospérité par le biais des effets de retombées. Mais pas pour Detroit!

Ça nous amène à juillet 2013, lorsque Kevin Orr, directeur municipal des urgences non élu, refuse un plan de sauvetage financier, optant plutôt d'offrir aux pensionnés et travailleurs municipaux dix cents par dollar pour les prestations de santé et de retraite. Les syndicats ont dit non et la procédure de faillite a suivi.

Tirons-en donc une leçon. Un gouvernement solide, des services publics de grande qualité, une classe moyenne dynamique, des syndicats forts, un environnement en santé et moins de pauvreté peuvent contribuer à un avenir meilleur. Ces éléments peuvent et doivent coexister.

On ne peut pas se permettre de laisser les conservateurs d'Hudak grignoter dans les services, réclamer la mise en place de mesures d'austérité pour réduire les impôts ou adopter des lois antisyndicales. De telles mesures nous conduiront à une situation à laquelle nous ne voulons pas faire face – celle qu’affronte aujourd'hui la ville de Detroit.

Solidairement, 
 
Warren (Smokey) Thomas, président

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