Certains critiques l’ont appelée l’« option nucléaire » constitutionnelle. Personnellement, je la qualifierai de bévue, d’aberration.
Le premier ministre Ford a invoqué l’article 33 de la Charte canadienne des droits et libertés – plus connu sous le nom de la clause dérogatoire – qui permet aux gouvernements provinciaux de contourner certaines parties de la Charte pour une période de cinq ans. Il s’agit d’une décision controversée qui réduira au silence les héros et héroïnes de première ligne de l’Ontario avant les élections provinciales de l’an prochain.
Il s’agit de surcroît d’une terrible arme politique qui est rarement utilisée, et à juste titre. En Ontario, elle avait rarement fait sourciller, n’ayant jamais été utilisée depuis 39 ans – jusqu’à aujourd’hui. Elle n’est pas bonne pour la démocratie et elle ne donne pas une bonne image de M. Ford, qui se laisse emporter par sa peur et par sa frustration.
Tout a commencé par l’introduction d’une loi visant à limiter les dépenses publicitaires des groupes d’intérêts et des organisations, y compris pour les campagnes de plaidoyer et d’information publique, durant les 12 mois précédant les élections – une période qui était auparavant de six mois. Lorsqu’un juge a statué que cette loi violait les droits des Ontariennes et Ontariens garantis par la Charte, M. Ford a décidé de répliquer en invoquant la clause dérogatoire, qui lui permet d’ignorer la décision du tribunal et de faire adopter son projet de loi.
À moins de 12 mois des élections provinciales, ces nouvelles règles relatives au financement électoral sont déjà en vigueur. Pour satisfaire ses propres intérêts, le premier ministre Ford a changé non seulement la durée de la partie, mais également les règles du jeu, alors même que la partie avait déjà commencé.
Sauf qu’il ne s’agit pas d’un jeu pour les travailleuses et travailleurs de première ligne qui ont mis leur santé en danger, et même leur vie, en travaillant sur la ligne de front de la pandémie. Ces héroïnes et héros de première ligne, dont plusieurs milliers sont représentés par l’OPSEU/SEFPO, ont appris de leur expérience durant l’année écoulée et ont des choses à dire publiquement à ce sujet.
Ils méritent non seulement qu’on écoute ce qu’ils ont à dire, mais également qu’on respecte leurs droits fondamentaux quand ils demandent un Ontario meilleur et plus sûr. Le dialogue et la différence d’opinion sont des éléments importants et enrichissants dans notre processus démocratique.
Pourquoi existe-t-il alors une option visant à bloquer nos droits fondamentaux? C’est une bonne question qui remonte à la création de la Charte.
Destinée à fonctionner comme une soi-disant soupape de sécurité, la clause dérogatoire devait être utilisée dans les plus rares occasions et uniquement pour s’assurer que les juges ne puissent pas à eux seuls aller à l’encontre de la volonté du peuple. Elle était censée donner le dernier mot aux législateurs, et non pas leur permettre d’abuser de leur pouvoir ni d’étouffer les critiques, comme M. Ford essaie manifestement de le faire.
Ainsi, même si notre syndicat continuera de faire ce qui est le mieux pour nos membres et pour l’Ontario, nous ne nous laisserons pas réduire au silence, pas plus que les travailleuses et travailleurs de première ligne que nous représentons fièrement.
À l’heure où l’Ontario se reconstruit et se remet de cette crise, le temps est venu pour le premier ministre de travailler avec toutes les parties de notre société, y compris avec les travailleurs du secteur public, et non pas de nous faire taire en piétinant notre droit à la liberté d’expression. Bloquer nos droits fondamentaux ne devrait pas être une option. Le public a besoin d’entendre ce que nos héros et héroïnes de première ligne ont à dire.
En toute solidarité,
Eduardo (Eddy) Almeida
Premier vice-président/trésorier de l’OPSEU/SEFPO
@OPSEUEddy
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